La résilience est d’une importance cruciale dans le monde actuel. L’accélération des bouleversements, la brutalité des transformations, la circulation d’informations anxiogènes, la pression des réseaux sociaux, toute cette propagation d’ondes souvent négatives ont un impact puissant sur l’équilibre des individus et résonnent à l’intérieur des entreprises en augmentant le niveau de stress des équipes. À ceci peuvent s’ajouter la perte d’un marché, la perspective d’une restructuration ou d’un plan de sauvegarde de l’emploi, des restrictions budgétaires, etc. qui déstabilisent les équipes et portent atteinte à l’équilibre général de toute entreprise.
Les risques psychosociaux, tels que disparition de repères, de sens ou de motivation, absentéisme, stress, s’en trouvent alors décuplés. Confrontées à une concurrence plus forte que jamais, à des clients exigeants qui n’ont que l’embarras du choix, à des changements de modèles qui les fragilisent, les entreprises doivent sans cesse s’adapter pour performer. Pour faire face à des situations négatives, elles doivent développer une capacité de résilience autant individuelle que collective, pour laquelle la compétence des managers est primordiale et peut s’inspirer de l’exemple des sportifs de haut niveau.
La résilience, ou comment rebondir pour aller plus loin
Et si l’échec était source de performances ?
Le terme « résilience » vient du latin resilire qui signifie « rebondir, rejaillir ». Il a d’abord été associé au domaine de la physique où il caractérisait la capacité des métaux à reprendre leur forme après l’exercice d’une contrainte. Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik l’a appliqué aux sciences humaines où il l’a défini comme l’aptitude de chacun à réussir et à se développer en dépit de l’adversité. Bien avant lui, Antoine de Saint-Exupéry exprimait une idée similaire lorsqu’il écrivait dans Terre des hommes que « l’homme se découvre avec l’obstacle ».
Dans son approche psychologique, la résilience ne se résume donc pas à une simple capacité de retourner à un état initial tel que le conçoit la physique, mais il offre à l’individu la possibilité d’une transformation. Il ne s’agit pas d’absorber un choc, mais de le digérer, de l’analyser et de le surmonter, ce que résume le triptyque : comprendre/apprendre/réagir. Une sorte de renaissance ponctue le franchissement de chacune de ces étapes ; l’individu en sort grandi par le dépassement de ce qu’il croyait être ses limites. Le même processus s’applique collectivement. Ainsi, ce n’est pas l’importance du problème survenu ou de l’échec subi qui impacte l’avenir du sujet ou groupe, c’est leur capacité à l’analyser pour en tirer une leçon et mettre en place une nouvelle stratégie.
Plusieurs sportifs se sont exprimés sur des évènements délétères de leur vie qui ont participé à leur réussite, à l’instar d’Antoine Dénériaz devenu champion olympique de descente treize mois après une opération du genou. Pour la nageuse Charlotte Bonnet, le décès en 2015 dans un accident d’hélicoptère de « sa grande sœur », Camille Muffat, – avec laquelle elle s’était entraînée quatre ans durant – a été un déclencheur. Trois semaines plus tard, elle ressortait titrée des championnats de France. S’ensuivit tout un travail de résilience lui permettant de devenir championne d’Europe en 2017 et 2018.
Ces sportifs de haut niveau, qui se sont construits – voire reconstruits – à travers le sport, ont appris à surmonter les aléas de la vie et en ont fait une force pour aller plus loin. C’est ce qu’on attend également de tout manager.
Positivité, estime de soi et détermination : des clés de la résilience sportive autant que managériale
Face à un revers, se dire victime du sort et accuser la fatalité constitue l’antithèse d’une démarche efficiente à adopter. Cependant, en s’attribuant la causalité d’un échec, on risque de perdre à la fois la motivation et la confiance en soi. Apprendre de ses erreurs nécessite donc comme prérequis d’avoir une image positive de soi, ainsi que du courage. Les sportifs de haut niveau ont en commun une perception positive qui agit comme source de progression. Ils ont acquis la conviction de leur excellence, mais l’ont accompagnée d’une capacité à vivre l’échec – qu’ils savent inévitable à un moment ou à un autre –, à en tirer des leçons et à le transformer en un défi à relever. L’adaptation positive entretient un lien très fort avec la notion d’optimisme qui induit d’une part l’amélioration des performances et d’autre part les conditions nécessaires de résistance aux difficultés.
Ces stratégies comportementales et cognitives, associées à un environnement positif, les rendent capables de résister à l’adversité ; elles leur permettent de sortir grandis de l’épreuve et plus aptes à affronter de nouveaux revers. Les situations et difficultés deviennent des défis ; les échecs, des possibilités d’apprendre. Les managers se doivent de développer les mêmes perceptions.
De nos jours, la dynamique dans l’entreprise s’inspire ainsi de celle des sportifs dont le mental ouvre les voies de l’exploit. Le savoir-être s’allie au savoir-faire. Cette évidence devient la clef de la réussite de l’entreprise parce qu’elle intègre dorénavant l’intelligence émotionnelle de l’individu comme ressource à part entière. Un but clairement défini est un autre paramètre qui met en place le processus de la résilience en actionnant les leviers de la détermination. Le sportif le définit avec son staff ; le manager fait de même pour et avec ses équipes. En focalisant la mobilisation de toutes les ressources et forces, l’objectif qui était le phare se change en la lanterne sur le chemin pour l’atteindre.
La résilience, une force vive indispensable dans l’entreprise d’aujourd’hui
La résilience, qui permet au sportif de retourner « au combat » après une blessure ou une défaite, fait également se relever le commercial après la perte d’un prospect et s’adapter le manager après un plan de licenciement. Ce processus permet d’enrayer la mise en place d’une spirale négative. Il recouvre une démarche par laquelle l’évènement néfaste devient une donnée à intégrer pour ensuite penser un avenir en conformité avec les souhaits des personnes concernées, puis pour mettre en place des actions tendant à la réalisation de cet avenir. Lors de ces trois étapes, les individus résilients entrent dans une démarche proactive révélant des forces parfois insoupçonnées, et qui peut s’apparenter à un cercle vertueux.
En effet, la vitalité de la force de résilience réside dans le fait qu’elle va s’enrichir d’elle-même. Cette stratégie comportementale peut avoir une composante innée, mais peut aussi être le résultat d’un travail sur soi. La résilience permet de dominer un échec, de pallier la vulnérabilité, et également d’acquérir de nouveaux réflexes de résilience. Elle augmente avec la pratique. Ainsi, l’individu ayant triomphé d’une situation difficile aura, lors d’une prochaine épreuve, davantage de facilités à y faire face.
Les hauts potentiels en entreprise ont en commun avec les athlètes détermination, courage et abnégation ; ces comportements fédérateurs sont source d’un leadership « naturel ». Ces qualités ne suffisent pas à assurer une conduite efficace de l’entreprise. Dans un article de 2018, le magazine Forbes nous apprend que 120 managers de Nestlé International ont suivi un programme d’entraînement à la résilience, car ainsi que l’affirmait la directrice de l’intégration et de la diversité du groupe « la résilience est un thème très lié au leadership ».
Cette aptitude, qui aide le manager — comme l’athlète — à activer ses ressources et celles de ses collaborateurs pour faire face à l’adversité, est reconnue comme une compétence nécessaire à la réussite professionnelle, au même titre que la formation et l’expérience.
La résilience, une compétence que les leaders peuvent et doivent développer dans leur collectif
Liée à la personnalité et aux ressources intrinsèques, la résilience est aussi le résultat de l’environnement extérieur, affectif, social et matériel. En effet, le processus de résilience peut difficilement se mettre en place seul et sans l’acceptation d’un soutien extérieur. Quasiment tous les grands athlètes bénéficient aujourd’hui d’un accompagnement mental qui leur permet d’accroître la confiance en eux, en leurs capacités. De manière similaire, tout manager a un rôle à jouer dans la mise en place d’outils individuels et collectifs qui permettent à ses équipes de traverser les perturbations pour performer davantage. Il agit en quelque sorte comme un tuteur pour leur faire oser prendre les revers comme des vecteurs de chance.
En développant le respect et l’écoute — deux valeurs que l’on retrouve chez des sportifs de hauts niveaux —, les leaders en entreprises peuvent induire la confiance et l’autonomie chez leurs collaborateurs. La réussite de cet encadrement attentif et encourageant exige de mettre les équipes dans les meilleures conditions émotionnelles possible. Cela suppose pour celui qui endosse ce rôle d’accompagnateur de posséder ou d’acquérir les qualités humaines nécessaires. En étant résilients eux-mêmes, les managers sont des modèles de comportement qui aident à l’évolution positive des membres de leurs équipes. Une fois encore, le sport fait ici écho au concept managérial : dans le livre Sport et résilience de Boris Cyrulnik et Philippe Bouhours, les auteurs affirment — et des études épidémiologiques le confirment — que le sport aide à acquérir une capacité de résilience. Ainsi, si le manager a eu une activité sportive — encore plus s’il l’a pratiquée en compétition — il aura développé cette compétence et va la mettre naturellement en pratique dans le cadre de son leadership.
On peut affirmer à nouveau que la recherche des résultats et de la performance n’exclut pas de se préoccuper de l’humain, bien au contraire. En effet, dans le monde de l’entreprise d’aujourd’hui, un état de résilience est indispensable à l’approche managériale parce qu’il sous-tend beaucoup d’autres forces essentielles que nous avons abordées précédemment et que nous continuerons d’explorer avec vous prochainement.